« Une bien triste journée. Une journée qui aurait dû se dérouler aussi calmement que toutes les autres depuis le début des Jeux olympiques. […] Mais un commando de terroristes palestiniens en avait décidé autrement. Soudainement, Munich arrêtait de vivre. »
Ainsi écrivait Guy Pinard, envoyé spécial de La Presse dans le numéro du 6 septembre 1972, quelques heures après la mort violente de 11 membres (athlètes, entraîneurs, arbitres) de la délégation d’Israël aux Jeux olympiques de Munich, en Allemagne de l’Ouest. Un des moments les plus sombres de l’histoire du mouvement olympique depuis la création des Jeux modernes, à Athènes en 1896.
Chef de division à la section des Sports de La Presse, Guy Pinard, qui avait alors 34 ans, en était à la couverture de ses deuxièmes Jeux olympiques.
La cérémonie d’ouverture avait eu lieu le 26 août. Les représentants canadiens vivaient ce moment en ayant à l’esprit que Montréal serait la prochaine ville à accueillir les Jeux d’été.
Or, dans la nuit du 5 septembre, tout a basculé.
À 4 h 30, le mardi 5 septembre 1972, huit membres du commando palestinien Septembre noir s’introduisent dans le bâtiment 31 du village olympique et prennent en otage des membres de la délégation israélienne.
Deux Israéliens sont abattus sur place. Neuf autres sont capturés. Les terroristes exigent la remise en liberté de 232 prisonniers palestiniens en Israël en échange des otages.
La crise durera 20 heures. Elle se termine dans le sang le 6 septembre à 0 h 30 sur le tarmac de la base militaire aérienne Fürstenfeldbruck, où les terroristes, détenant toujours les otages, tentent de prendre un avion en direction du Caire.
Les autorités allemandes tentent de piéger les terroristes avec des tireurs d’élite recrutés à la hâte. L’échange de tirs tourne au massacre. Les terroristes tuent tous les otages. Cinq des huit Palestiniens sont tués ainsi qu’un policier allemand.
Les Jeux olympiques sont suspendus pour une journée. Ils reprennent dans une atmosphère lourde jusqu’à la cérémonie de clôture, le lundi 11 septembre.
Tension dans l’air
Guy Pinard se souvient de cette « tension dans l’air » qui régnait sur le site olympique dans les premières heures ayant suivi la prise d’otages.
« Il y avait cette tension que nous avons remarquée et on se demandait ce qui se passait, se souvient-il. Nous avions très peu d’informations du Comité olympique. Chacun avait une bribe d’information de son bord. C’était confondant comme nouvelle. »
Plus tard, c’est en retournant dans sa chambre pour regarder les évènements à la télévision que M. Pinard est témoin de toute l’horreur du massacre.
« Au début, on a parlé d’explosions [à l’aéroport], mais dit que les athlètes étaient sauvés. Les gens étaient contents, mais dubitatifs », raconte-t-il.
Et puis on a appris ce qui s’était réellement passé. Ç’a été vraiment un choc. J’en parle encore aujourd’hui avec la chair de poule. C’est le pire évènement que j’ai vu dans ma vie, même si je l’ai vécu uniquement à la télévision.
Guy Pinard, journaliste retraité de La Presse
M. Pinard, qui avait couvert les Jeux olympiques de Mexico, avait aussi vécu le traumatisme collectif survenu dans la foulée du massacre de Tlatelolco. Dix jours avant l’ouverture des Jeux d’été de 1968, la police et l’armée mexicaines ont ouvert le feu sur des étudiants qui manifestaient dans le quartier Tlatelolco de Mexico. Bilan : de 200 à 300 morts.
« Durant toute la période des Jeux de 1968, on avait toujours cette image des militaires autour des stades, du village olympique, etc., se souvient M. Pinard. Donc, en 1972, les Allemands avaient choisi de présenter une “sécurité invisible”, moins agressive. Il était plus facile d’entrer dans le village. »
À Munich, lorsque les compétitions reprennent, le cœur n’est plus à la fête ni aux performances. « Ce n’était plus pareil, se rappelle M. Pinard. Une bonne majorité des journalistes souhaitaient que les Jeux s’arrêtent. »
Nous étions tous sous le choc. Tu t’en vas à une fête du sport et tu es pris dans les engrenages d’un massacre. C’était difficile. Beaucoup de gagnants pleuraient lors des remises de médailles. Moi, j’avais hâte de revenir.
Guy Pinard, journaliste retraité de La Presse
Accord avec les familles
Cinquante ans après les évènements, les familles des 11 victimes israéliennes sont toujours meurtries. Au point qu’il y a quelques jours à peine, elles ont refusé de participer à une cérémonie qui doit avoir lieu le 5 septembre à Munich pour commémorer les disparus.
Ces familles estimaient que les autorités ouest-allemandes de l’époque étaient en partie responsables de la tournure des évènements. Elles réclamaient des excuses publiques, l’ouverture des archives de l’affaire et une indemnisation financière.
Un accord a finalement été conclu mercredi dernier. Il prévoit le versement de 28 millions d’euros en indemnisations. Cette somme s’ajoute aux quelque 4,5 millions d’euros versés en 2002.
Des athlètes canadiens impliqués malgré eux
Dans le film Munich de Steven Spielberg consacré aux attentats des Jeux de 1972 et à la riposte israélienne, on voit quelques athlètes occidentaux qui, croyant avoir affaire à d’autres concurrents, aident les terroristes à franchir la clôture du village olympique au cœur de la nuit. Longtemps, on a cru ces athlètes américains. Or, ils étaient canadiens.
L’affaire a été révélée en avril 2012 par le quotidien Toronto Star. Deux des athlètes canadiens concernés, Robert Thompson et David Hart, membres de l’équipe de water-polo du pays à la feuille d’érable, ont témoigné de cette histoire.
Avec d’autres athlètes canadiens, les deux amis de 24 et 20 ans et résidants de Hamilton rentraient au village olympique. Quelques minutes plus tôt, ils avaient quitté le centre de diffusion de la CBC où ils avaient assisté à la victoire de 4-1 de l’équipe canadienne de hockey, dans le deuxième match de la Série du siècle contre l’URSS.
Lorsqu’ils ont vu d’autres jeunes hommes en survêtement et portant des sacs de sport tenter de franchir la grille de trois mètres entourant le village, ils les ont aidés sans se poser d’autres questions. « Nous avons supposé que c’étaient d’autres athlètes », a raconté M. Thompson au Toronto Star.
Or, les survêtements étaient des déguisements et les sacs de sport étaient remplis de mitraillettes, de grenades et de cagoules.
C’est le dernier terroriste encore en vie de cet attentat qui, en 1999, a déclaré dans une entrevue que le groupe avait été aidé par des athlètes américains. C’est ce qu’on a cru jusqu’en 2012.
Sécurité réduite
Les Jeux de Munich en 1972 étaient les premiers à être tenus en Allemagne depuis ceux de Berlin en 1936. Des Jeux ayant marqué les mémoires parce que les nazis étaient au pouvoir.
Dans l’esprit des organisateurs en 1972, il était primordial de faire bonne impression, de montrer l’image d’un pays hôte pacifique, en évitant toute démonstration musclée.
Avec pour le résultat que le budget consacré à la sécurité de ce qu’on a surnommé les « Happy Games » avait été réduit au minimum. Selon l’article consacré au Massacre de Munich sur le site web britannica.com, ce budget tournait autour de 2 millions de dollars.
À la suite des tragiques évènements, la sécurité a été nettement renforcée pour les Jeux olympiques de Montréal.
« On n’a jamais su les vrais coûts, mais sans doute que de l’argent a été dépensé dans les services secrets, dit Guy Pinard, journaliste de La Presse à la retraite qui a couvert les Jeux de Mexico, de Munich et de Montréal. Un homme a essayé de franchir la clôture au village olympique de Montréal et il s’est fait prendre. On avait appris. »
Dans une conférence de presse tenue le 6 août 1976, soit cinq jours après la cérémonie de clôture des Jeux de Montréal, le directeur de la police montréalaise, René Daigneault, a déclaré que le plus important problème vécu par les membres de son unité durant la quinzaine des Jeux « a été l’ennui ».
Parce que la coordination entre les différents corps de police (Communauté urbaine de Montréal, Sûreté du Québec et Gendarmerie royale du Canada) avec l’armée canadienne, aussi déployée, a été « positive » et « s’est bien déroulée », a-t-il dit à cette occasion.
Mieux. Le taux de criminalité sur le territoire de la CUM a baissé de 20 % durant les Jeux de Montréal.
Avec Radio France Internationale et L’Équipe
Prise d'otages aux Jeux de 1972 | Le jour où Munich a arrêté de vivre - La Presse
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