Qui est le plus grand joueur de l’histoire du tennis ? Il n’y aura sans doute jamais de bonne réponse à cette fameuse question, parce que trop subjective. Sur le plan statistique, toutefois, le dossier est clos. Novak Djokovic a remporté son 23e tournoi majeur, dimanche, et il pointe seul au sommet de l’histoire du tennis masculin. Et ce n’est que le début.
Les destins de Djokovic, Rafael Nadal et Roger Federer seront éternellement liés. Les trois auront eu un impact considérable sur leur sport. Les trois auront offert deux décennies de domination, devenus privilège et rivalité.
Grâce à cette victoire en finale contre Casper Ruud, en trois manches de 7-6, 6-3 et 7-5, Djokovic aura cependant pris une distance sur ses deux plus grands rivaux. Non seulement il mène la course aux titres du grand chelem, mais il est aussi le seul du trio à avoir remporté au moins trois fois chacun des quatre tournois majeurs. Par sa polyvalence, sa constance et sa longévité, il a prouvé pourquoi il mérite à nouveau de reprendre le premier rang mondial.
« Ce n’est pas une coïncidence si je remporte mon 23e titre grand chelem ici, a précisé le champion dans un français impeccable, arborant une veste Lacoste rouge suggérant un “23" plutôt ostentatoire tracé avec des crocodiles. Toute ma carrière, ça a été le tournoi le plus dur à gagner. »
Sa démonstration sur le court Philippe-Chatrier, sous le regard attentif de Tom Brady, Kylian Mbappé et Zlatan Ibrahimovic, a été grandiose. Ruud a offert une opposition beaucoup plus soutenue qu’anticipé, laissant même croire, en début de match, que Djokovic allait peut-être se faire voler son grand moment.
Rares sont les matchs qui commencent à l’heure du déjeuner et qui se concluent au moment de préparer le souper. Pourtant, en première manche, la tendance était favorable à un tel scénario. Elle a été disputée en 82 minutes. À l’instar de La Cène, le tableau était majestueux. Comme Da Vinci, Djokovic est parvenu à passer à l’histoire. Deux génies, deux esprits libres, deux techniciens complexes, parfois incompris, dont le talent et la magnificence traverseront le temps.
Au bris d’égalité de la première manche, Djokovic n’a commis aucune faute directe. Il s’agissait de son sixième bris d’égalité de la quinzaine. Dans les cinq précédents, il n’avait également commis aucune faute directe.
Ça prenait du cran, et probablement un peu d’expérience, pour réagir ainsi lors du moment le plus tendu du match. Ruud avait été presque sans reproche. Son coup droit a été fumant et son revers, plus faible habituellement, a bien répondu. Seul son premier service l’a parfois mis dans l’embarras. Or, jamais il n’a été déclassé. Ni même intimidé. Les deux joueurs ont offert l’une des plus belles manches de la saison. Jusqu’à ce que le Djoker ouvre la machine. Et à ce moment, Ruud n’avait plus aucune chance.
Encore dans le coup
L’éventuel champion avait bien mal démarré son match. Il tirait de l’arrière 3 à 0, il s’était fait voler son service d’entrée de jeu et il avait forcé huit fautes directes après deux jeux seulement. Il était désorienté, à plat et peu convaincant. Il ratait des coups aussi banals que des smashs en haut de terrain.
Il faut donner du crédit à Ruud. Le jeune homme de 24 ans avait fait ses devoirs. Ses schémas étaient bien ficelés, ses enchaînements étaient bien déterminés et son instinct lui a servi. Son coup droit signature fonctionnait à merveille et son adversaire était dépassé. Peut-être un peu surpris devant une telle opposition.
Cependant, pour battre un ténor de l’ampleur de Djokovic, sur trois manches qui plus est, être suffisant revient à courir à sa perte. Il faut être extraordinaire, exceptionnel. En fait, il faut être parfait.
Ruud ne l’a pas été et ça s’est retourné contre lui. Dès que Djoko a vu la brèche, il était inarrêtable. Au tournant de la deuxième manche, pendant un moment, il avait gagné 20 des 25 derniers points.
Le Serbe était en pleine possession de ses moyens. Solide au service, varié en coup droit et brillant tactiquement. Ses 15 coups gagnants et son ratio de 15 en 17 sur les points gagnés en première balle lors de la deuxième manche devraient être deux arguments suffisants.
Plus le match progressait, plus le Serbe était à l’aise. Il gagnait à la fois les longs échanges en plus de faire payer son rival avec des enchaînements gagnants de deux ou trois coups de raquette.
En troisième manche, beaucoup plus disputée que la deuxième, Djoko a fait craquer Ruud le premier. Il l’a brisé à 5-5, en route vers le 23e triomphe.
« Une autre journée, un autre record pour toi, a lancé Ruud en direction du gagnant après la rencontre. Tu trouves encore le moyen de réécrire l’histoire du tennis. C’est dur de trouver les mots pour expliquer tout ce succès. Tu es une inspiration pour tellement de gens à travers le monde. »
La suite
Ruud s’est incliné pour la troisième fois de sa carrière en finale d’un tournoi majeur. Malheureusement pour lui, le contexte ne lui a jamais été favorable. L’an dernier, il faisait face à Rafael Nadal, le plus grand joueur de l’histoire sur terre battue, à Roland-Garros.
Quelques mois plus tard, il se confrontait à Carlos Alcaraz, la sensation du moment et le meilleur joueur au monde, en finale des Internationaux des États-Unis.
Puis, dimanche, il a été un témoin privilégié de l’Histoire.
Son heure viendra, cependant. La quatrième raquette mondiale a trop de potentiel pour terminer sa carrière bredouille. Sur le plan statistique, il est le meilleur joueur de la planète sur terre battue depuis 2020. Lorsque Nadal et Djokovic ne seront officiellement plus dans le portrait, il faudra s’attendre à le voir briller à son tour.
« Tu es l’une des meilleures personnes sur le circuit. C’est important dans le monde actuel de conserver ses bonnes valeurs, lui a dit Djoko au milieu de ses remerciements ayant duré près de 10 minutes. Je suis désolé pour le résultat d’aujourd’hui. Tu as été l’un des joueurs les plus constants ces dernières années. […] Je te souhaite de gagner contre tout le monde, sauf moi ! »
Pour Djokovic, la quête n’est pas terminée. Elle commence. Maintenant qu’il a 23 titres en poche, deux autres exploits sont à sa portée.
D’abord, remporter le grand chelem calendaire. C’est-à-dire gagner tous les tournois majeurs au cours d’une même saison. L’exploit n’a pas été réalisé depuis 1969. Avec les deux premiers tournois de la saison en poche, Wimbledon et les Internationaux des États-Unis sont dans son viseur.
Ensuite, il voudra certainement grimper au premier rang de l’histoire pour le nombre de titres majeurs, tous sexes confondus. Il est désormais à égalité avec Serena Williams et le record ultime appartient à Margaret Court, avec 24.
S’il parvient à réaliser ses deux exploits, le débat concernant l’identité du meilleur joueur de l’histoire se clarifierait quelque peu.
Novak Djokovic passe à l'histoire avec son 23e titre majeur - La Presse
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